Little Sun Back Here : un projet évolutif en trois moments
Le soleil façonne nos vies. Par sa course perpétuelle, il rythme notre quotidien, agit sur notre corps et régule notre environnement. Son va-et-vient au-dessus de l’horizon, entre apparitions et disparitions, organise nos journées et structure notre existence. À l’occasion du Prix culturel Manor Valais 2019, l’exposition sur le travail de Flurina Badel (*1983 à Lavin, GR) & Jérémie Sarbach (*1991 à Binn, VS) s’organise autour du thème du soleil. Elle se présente en trois volets : le premier au Musée d’art du Valais à Sion, le second dans le village de Binn (Vallée de Conches) et le troisième sous la forme d’un livre-objet.
Notre relation au territoire et à la nature se situe au cœur des questionnements du duo d’artistes. Pour cette exposition, cette problématique est abordée à travers la rencontre du soleil et du bois. Et si la trajectoire du soleil était contrariée ? Sa lumière recréée artificiellement ? L’ordre naturel inversé ? Nos repères en seraient-ils bouleversés ?
Un solarium détourné de son usage habituel, un grenier désaxé et une publication qui véhicule une part du soleil : ces trois éléments de l’exposition questionnent notre rapport à la nature et à la technologie, à l’authenticité et à l’artificialité, à la durabilité et à l’éphémère. En jouant avec le pouvoir de transformation du soleil, Flurina Badel & Jérémie Sarbach brouillent les frontières entre la nature et l’artifice, déjouent l’ordre des choses et bousculent notre perception de la temporalité. Leurs installations créent des inversions et des décalages dans notre relation à l’environnement : ce qui paraissait central devient périphérique, ce que nous croyions être à l’arrière-plan se voit projeté au-devant de notre paysage mental. Dans cet univers un peu surréaliste où les enjeux de proximité se réinventent, c’est toute la perspective classique qui est remise en question, qu’elle soit écologique ou relationnelle.
Une exposition en trois volets
Un solarium au Musée d’art du Valais
L’espace d’exposition temporaire nommé Au Quatrième se transforme en un véritable atelier où se réinvente la lumière du soleil. Au sein même du Musée d’art, cette installation évoluera de novembre 2019 à novembre 2020 autour d’un mélèze de cinq mètres de long. Débité en planches, ce tronc d’arbre sera soumis chaque jour aux rayons ultraviolets d’un solarium. Sous l’action des lampes UV, la surface du bois fraîchement coupé se teintera d’une patine. Comme une peau qui bronze au soleil de façon accélérée, les planches seront marquées par les indices du temps. Tel un gisant, l’arbre coupé devient un corps dans ce solarium détourné de son usage habituel. Mais une empreinte, sorte de « tatouage », apparaîtra peu à peu sur le bois, révélant une matière organique toujours vivante, en évolution permanente.
L’espace muséal, – lieu par excellence de conservation du patrimoine où les rayonnements UV, nocifs pour les œuvres, sont particulièrement redoutés –, devient soudain un lieu de création où une lumière solaire artificielle façonne l’œuvre en temps réel. Une installation in situ qui évolue sous nos yeux et s’invente durant toute la durée de l’exposition.
Un grenier désaxé à Binn
Au cœur du village de Binn, un ancien grenier se présente avec ses trois façades en mélèze orientées à l’est, au sud et à l’ouest, colorées par le soleil au fil des siècles. Seule sa façade nord, peu exposée à la lumière, a été épargnée par cette coloration. Badel/Sarbach ont soumis la bâtisse à une rotation de 180 degrés, de façon à exposer sa façade nord en plein soleil et à la faire « bronzer » progressivement. Dès lors, ce grenier « retourné » sur lui-même trouble le regard ; il invite à voir et à suivre, par le brunissement lent du bois, le passage du temps. En faisant pivoter le grenier sur son axe, les artistes perturbent le paysage de façon subtile, sans effectuer d’ajouts ou de soustractions. Dissident, leur geste questionne le conformisme et s’amuse à déjouer l’ordre des choses.
Un calendrier solaire
Le duo présente également un livre-objet : un calendrier solaire pour l’année 2021 qui retranscrit au jour le jour la trajectoire du soleil au-dessus de l’atelier des deux artistes, situé à Guarda (Grisons). Chaque jour, un feuillet à détacher donnera à éprouver physiquement le passage du temps. A l’heure des technologies de géolocalisation et de mesures météorologiques, le choix délibéré d’un objet papier, tangible, rappelle le bois dont il est issu et que l’on retrouve dans les différentes parties du projet artistique de Badel/Sarbach.